Carnet de route

LE DOME DE NEIGE...30 ANS APRES

J'avais effectivement gravi ce sommet il y a 31 ans exactement, lors d'un stage UCPA et n'y étais pas retourné depuis. J'étais alors débutant en alpinisme et j'avais bénéficié des conseils éclairés d'un vieux guide de Monetier (Germain Turc si ma mémoire est bonne). Je n'avais pas gardé beaucoup d'images de cette ascension car elle s'était déroulée sur une montagne envahie par un brouillard tenace.

Il s'agissait donc quasiment d'une première en ce qui me concerne. Nous étions au point techniquement, encordements et nœuds revus, matériel réglé et testé lors de l'ascension du Pic du Glacier d'Arsine (3364m) qui nous avait permis la veille de bénéficier d'une vision complète du théâtre de nos futurs exploits ; sur le sommet convoité, les cordées se succédaient telles des fourmis à l'assaut d'un gigantesque gâteau à la chantilly ; l'apothéose du festin semblait se situer entre 8 et 9h et nous nous promettions d'être à l'heure pour participer nous aussi aux agapes.

Donc le jour J, 2h45, je me réveille … avec un mal de tête qui ne m'a pas lâché de la nuit (pourtant, il n'y avait pas de chantilly sur le dessert rose chimique de la veille) et qui entretient dans mon cerveau une lancinante question existentielle : Qu'est- ce que je viens f... ici, au milieu de tous ces gens qui enfilent baudriers, guêtres ou chaussures à la lueur de leurs frontales ? Que l'alpiniste qui ne s'est jamais posé cette question me jette la première pierre : j'ai déjà mis mon casque ! Autant dire que le petit déj a du mal à passer. Heureusement, l'air frais du dehors, le ciel étoilé promesse de beau temps et les retrouvailles avec les automatismes de la descente me redonnent un peu de tonus. La traversée pépère du glacier jusqu'au pied de la face finit de me remettre d'équerre. Elle sera par contre fatale à Alain qui nous abandonne là, lui aussi victime de cette mauvaise nuit en altitude. Une prise de décision rapide s'impose : porter la corde en trop ou bien former 3 cordées de 2. C'est finalement la 2ème solution que je propose : Que Claudine me pardonne ; même si elle a été prise de court, cela lui aura permis d'effectuer son premier 4000 en tête !

La première pente s'annonce raide. Plutôt que de passer dans les traces, où on s'enfonce un peu, je décide de suivre une piste de descente provoquée certainement par une glissade volontaire sur un sac. Les chevilles en torsion crient un peu leur souffrance ; mais ça passe. Nous longeons le cône de déjection des séracs du bas et nous nous octroyons une petite halte avant de contourner ceux du haut. En montagne, la beauté est souvent synonyme de danger et ces édifices aux formes improbables, conçus par quelque architecte dément sont un régal pour les yeux, dans la mesure où bien sûr ils restent sagement à leur place. Quant aux crevasses, elles ne sont pas très nombreuses car le glacier est bien bouché, mais toujours impressionnantes. Après quelques hésitations au passage de la dernière (la trace est bonne mais il vaut mieux ne pas la quitter car la chute du second serait difficilement enrayée par le premier et vice versa), nous franchissons aisément la rimaye sous la brèche Lory et nous nous retrouvons au sommet du Dôme de nos espérances, aux alentours de 8h30. Après l'inévitable séance photos au sommet, notre petit groupe (Claudine, Luz, Cécile, Jean- Mi, Jean et moi-même), entame la descente. Les appréhensions de Luz seront vite dissipées : il faudrait le faire exprès pour partir en glissade dans ce champ de neige labouré par de multiples passages. Il s'agit simplement de ne pas traîner sous les séracs. Vers 10h30, nous sommes donc en bas, à l'aplomb du refuge des Ecrins, où nous avons laissé quelques affaires, heureux de cette escapade à 4000 effectuée sans problème majeur. Nous retrouverons Alain au refuge du Glacier blanc et effectuerons une descente groupée et prudente (la descente en courant, c'était 30 ans plus tôt !)